vendredi 11 juillet 2025

Chez les Républicains : l'estrade comme projet éducatif

 

« Oser un big bang de l’Education nationale […] il est plus que temps d’engager des changements en profondeur et de changer de vision. » Dans un entretien au Figaro, le sénateur Max Brisson expose ce qui ressemble fort au projet éducatif dudit parti pour les prochaines échéances électorales. Mais il ne suffit pas de ressasser les vieilles rengaines pour changer de vision.

Partant de l’idée – d’ailleurs discutable lorsqu’elle ne s’appuie que sur une lecture peu critique des comparaisons internationales – d’un effondrement du « niveau de maîtrise des savoirs fondamentaux […] tant en mathématiques qu’en français », Brisson, qui passe pour le référent éducation chez LR, met au rang de « priorité » le « recentrage sur les disciplines fondamentales », comprenez le français et les mathématiques. Un grand classique des déclarations politiques qui n’interroge jamais le principe des fondamentaux, leur nature, le plus souvent confondus avec les rudiments mais qui néglige par ailleurs le fait que les fondamentaux occupent déjà plus de place dans les programmes scolaires en France que chez nos voisins ; élément incontournable de toute communication ministérielle, le « retour aux fondamentaux » a été érigé comme priorité par tous les ministres de l’Éducation qui se sont succédé depuis le début des années 2000. Toutefois, un leitmotiv populiste ne faisant pas une réussite pédagogique, force est de constater que la dictée quotidienne ou le rabâchage des règles ne suffisent pas à effacer cette erreur d’analyse peu discutable qui fait que la France reste obstinément, parmi les pays comparables, le pays où les résultats scolaires restent le plus étroitement corrélés au milieu social. Mais l’idée que l’école réussit bien avec les enfants des milieux aisés et échoue avec les autres est effectivement plus difficile à intégrer dans un discours politique que la déploration habituelle sur la baisse du niveau.

Dans une logique qui ignore la dimension sociale d’un système éducatif, la réussite ne peut provenir que du mérite personnel (et l’échec, en corollaire, d’une faute personnelle), d’où le « retour à la méritocratie » , le mérite étant mesuré « en évaluant les compétences et les connaissances pour permettre aux examens de déterminer le passage en classe supérieure ». Pourtant, si l’instauration d’examens de passage constitue un réel retour en arrière – quoiqu’Attal s’y soit essayé en tentant de faire du DNB un couperet pour l’entrée au lycée, mesure finalement retoquée par E. Borne – la multiplication des évaluations est déjà largement pratiquée, notamment à l’école élémentaire et au collège, pour des résultats qui peinent à convaincre : quelle que soit la discipline évaluée, ni les compétences ni les connaissances n’ont suivi ces dernières années l’inflation d’évaluations dont les effets chronophages et souvent déstabilisateurs pour les élèves sont à juste titre dénoncés.  Aussi faut-il comprendre que l’extension sans fin de l’évaluation a ici une tout autre finalité que celles qui pourraient la justifier dans une perspective diagnostique ou formative. Telle que définie et défendue par Brisson, l’évaluation a principalement pour fonction, en premier lieu de contrôler et d’uniformiser les pratiques enseignantes mais surtout de sélectionner précocement les élèves et de les orienter en conséquence. Le milieu social influant largement sur les résultats scolaires, les vertus de la « méritocratie » apparaissent pour ce qu’elles sont vraiment : un outil de tri sélectif et précoce des élèves.

Tout système par principe injuste et inégalitaire étant susceptible d’engendrer des troubles, la question de l’autorité occupe nécessairement une place de choix dans les préoccupations du parlementaire ; leitmotiv de la droite, objet d’une obsession maladive, l’autorité est ici confondue avec l’obéissance, « en rétablissant l’estrade pour les professeurs et les prérogatives des conseils de discipline prévoyant les mots sanction et exclusion ». Dernier ajout en date aux traditionnelles propositions de loi loufoques de la droite sur l’école (uniforme scolaire, foulard, vouvoiement, internats etc), le rétablissement de l’estrade ne manquera pas de faire son effet auprès des médias dans le cadre des prochaines campagnes électorales, même s’il faut se demander si la proposition doit être comprise comme métaphore voire au second degré. En réalité, ce parallélépipède antique prend toute sa place dans les fantasmes pédagogiques de son adepte : évacué des salles de classe pour cause d’obsolescence et d’encombrement inutile, il demeure l’attribut et le symbole d’une pédagogie descendante qui se limite à voir dans les élèves les récepteurs passifs de la parole du maître, archétype d’un enseignement réduit à la transmission de la parole du maître miraculeusement assimilée par les élèves, symbole finalement d’une époque figée dans un imaginaire d’élèves en blouse grise, d’un savoir inscrit à la craie sur le tableau noir,  où chacun savait rester à sa place.  « L’école sanctuaire » dont Brisson se veut le restaurateur est donc une école où le « maître » du haut de ses planches, se fait obéir des élèves par « la sanction et l’exclusion […] le respect des règles » dans la perspective de « construction d’un esprit républicain ». Mais dans ce cas, de quelle république s’agit-il ? La question mériterait d’être posée (2).

Étonnamment, tout à sa préoccupation de « rétablir », de « refaire », de restaurer une école mythique, ce projet de droite s’aventure brusquement dans une vigoureuse critique d’un « système hypercentralisé de pilotage par le haut » système qui transforme les personnels « en petits exécutants aux ordres d’une verticalité obscure ». S’il est piquant d’entendre la droite reprendre à son compte avec beaucoup de retard l’analyse d’un des vices majeurs du système éducatif français, qu’elle contribue largement à entretenir quand elle est au pouvoir, la proposition avancée pour y mettre fin éclaire d’un jour très particulier la conception qu’elle défend de l’autonomie des établissements. Clairement, une arnaque. En effet, ce « big bang de l’Éducation nationale en partant de l’établissement » peut se faire – lit-on plus bas – « par contrat sur le recrutement des professeurs et des élèves, les moyens, l’organisation pédagogique, la préparation des cycles, la vie scolaire… » Donc, une autonomie conditionnée par le recrutement des professeurs et des élèves par un chef d’établissement… lui-même nommé par l’administration. Autrement dit, alors qu’avec le système actuel, les enseignants, une fois nommés, bénéficient d’une forme d’indépendance et de liberté pédagogique (dont ils n’usent malheureusement qu’avec parcimonie mais ce n’est pas l’objet de cette note de blog), ce que la droite désigne sous le nom d’autonomie aboutit en réalité, en plaçant les enseignants dans une situation de sujétion directe, à renforcer le pouvoir de l’administration non seulement sur la carrière des enseignants mais aussi sur leurs pratiques, leur philosophie de l'éducation et sur la vie des établissements. Dans une logique qui consisterait à confier les grandes orientations au « quinquennat » ou « aux régions », c’est-à-dire à la majorité politique (d’ailleurs toute relative) du moment, l’autonomie des établissements défendue par la droite est surtout une grossière mystification.  

Quelle autonomie pour les établissements quand on ne remet en cause ni le carcan des programmes officiels, ni la surveillance infantilisante, tatillonne voire punitive des inspecteurs et de l’administration, ni le contrôle envahissant des savoirs et des compétences par des évaluations nationales biaisées et répétées ? Autant de données – inviolables parce que touchant à la substance de l’Éducation nationale – que le sénateur Brisson se garde bien d’évoquer. Tout à l’opposé d’une libération des acteurs et des initiatives, l’autonomie des établissements telle que conçue par la droite, aggrave en réalité la centralisation du système éducatif et renforce la toute-puissance, déjà étouffante, d’une autorité administrative soumise au pouvoir politique.

« Rien n’a changé car les tenants du pédagogisme ambiant sont toujours aux affaires. » Pas à une contradiction près et avec une bonne dose de mauvaise foi, Brisson réécrit l’histoire des dernières décennies de l’école, en faisant porter sur d’imaginaires « pédagogistes » (qui n’existent que dans l’abondante littérature conservatrice sur l’école) la responsabilité d’une situation qui incombe en grande partie à la droite. De fait, depuis le début des années 2000 (2002, début du quinquennat Chirac), pour 5 années de gauche (et encore faut-il se forcer pour qualifier de gauche le quinquennat Hollande), la droite a géré l’Éducation nationale pendant 18 ans, avec des ministres qui de Darcos à Attal, en passant par Robien, Blanquer et d’autres n’ont eu de cesse de dénoncer bruyamment les « pédagogistes » comme coupables de tous les maux dont souffre le système éducatif, dénonciation qui, de façon systématique, a abouti à limiter drastiquement toute initiative individuelle, toute forme d’autonomie émanant du terrain. 18 ans de surveillance, d’autoritarisme, d’hypercentralisation, de brutalisation des personnels et des élèves qui sont comme des marqueurs du projet éducatif de la droite.

Et quand Brisson affirme la nécessité de « revenir aux fondamentaux de la droite », il faut donc voir dans cette formule comme une imposture qui ouvrirait les portes à des fondamentaux plus à droite que la droite, perspective d’autant plus inquiétante que ce « big bang » de l’école se ferait, comme il tient à le souligner, « derrière Bruno Retailleau »…Il faut un dessin ? 

(1) https://www.lefigaro.fr/politique/max-brisson-senateur-lr-osons-un-big-bang-de-l-education-nationale-en-partant-de-l-etablissement-20250606

(2) Question posée notamment sur ce blog :

La république contre l'école (2) : surveiller et punir

La république contre l'école (4) : école et extrême-droite, un terreau favorable

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