Bétharram ne vient pas de nulle part. La loi Attal brutalisant la justice des mineurs non plus. Confrontés à des enjeux qui les dépassent, les dirigeants mais aussi les électeurs qui les désignent se réfugient dans la désignation facile de boucs émissaires : les jeunes.
Décembre 2024 : Sarkozy condamné pour corruption à trois ans de prison dont deux avec sursis. Sarkozy en prison ? Non, il passe tranquillement les fêtes de fin d’année en famille aux Seychelles. Avec la bienveillance des médias, d’une large partie de l’opinion et de la classe politique qui préfère dénoncer le gouvernement des juges.
Février 2025 : la France décroche sérieusement dans le classement de la lutte anti-corruption, publié par l’ONG Transparency International. 26 ministres ou proches collaboratrices de Macron sont impliqués dans des affaires politico-financières. Des ministres en prison ? Non, une armée d’avocats les en protège.
Février 2025 : après plusieurs décennies de silence, il apparaît que des générations d’élèves ont subi un véritable calvaire dans des établissements scolaires sous contrat (et probablement un certain nombre d’établissements publics), c’est-à-dire sous le contrôle de l’état. Les bourreaux en prison ? Non, la prescription et la mauvaise foi des hiérarchies respectives (l’Education nationale égalant sur ce point l’Enseignement privé et l’épiscopat) la leur épargnent.
Mars 2025 : Le Pen condamnée pour détournement de fonds public à quatre ans de prison dont deux avec sursis. Le Pen en prison ? Non, elle siège toujours à l’Assemblée nationale et poursuit comme si de rien n’était sa campagne en vue de la présidentielle. La délinquante est toujours en tête des sondages...
Mai 2025 : le Parlement adopte une proposition de loi (Attal) mettant sérieusement à mal la justice des mineurs, désormais susceptibles d’être punis à partir de 16 ans comme des majeurs. Les jeunes en prison ? Effectivement, la comparution immédiate et la suppression de l’excuse de minorité auront pour effet de faciliter leur incarcération.
Le point commun à cette chronologie d’ailleurs très incomplète : selon que vous serez jeune ou vieux, puissant ou de peu de poids dans la société, les jugements de cour vous laisseront libre ou vous jetteront en prison.
C’est dans l’air du temps : confrontés à des enjeux – politiques, économiques et sociaux, environnementaux – qui les dépassent, les dirigeants mais aussi les électeurs qui les désignent se réfugient dans la désignation facile de boucs émissaires. Il faut effectivement davantage de courage pour faire face aux bouleversements environnementaux et aux remises en question qu’ils impliquent, s’opposer au génocide à Gaza, affronter les dirigeants mégalomanes un peu partout dans le monde, s’attaquer aux inégalités qui sapent la société, que pour effrayer les braves gens par une rhétorique pourtant bien éculée sur une jeunesse « sans repères », symbole d’une « crise civilisationnelle » (Retailleau) inventée pour la circonstance. Aujourd’hui, la dénonciation des jeunes tient une place de choix dans le plan de carrière de tout.e politicien.ne en mal de notoriété. Avec, en corollaire, la confiscation du débat sur l’école par des considérations sécuritaires et punitives. La superbe avec laquelle Attal peut annoncer le vote de sa proposition de loi sur la justice des mineurs, le spectacle consternant donné par Bayrou devant la commission parlementaire Bétharram, allant jusqu’à qualifier de « gestes éducatifs » les coups portés sur les enfants, donnent l’image saisissante d’un pays (ou d’une majorité du pays ?) incapable d’envisager sereinement le passage d’une éducation construite sur des principes infantilisants et autoritaires à une éducation émancipatrice et respectueuse.
Du respect ? Cette affirmation du droit de l’enfant au respect n’a pourtant rien de nouveau, formalisée notamment par Janusz Korczak… il y a près d’un siècle (1929). Si la maltraitance des enfants est sans doute moins voyante aujourd’hui, la duplicité des exhortations éducatives les plus bruyantes est toujours, à bien des égards, celle que dénonçait Korczak.
« Nous dissimulons nos défauts et nos plus viles actions. Sous peine de grave offense, les enfants ne peuvent ni nous critiquer ni même s’apercevoir de nos faiblesses, de nos travers, de nos ridicules. Nous posons aux êtres parfaits et défendons nos secrets, nous, le clan au pouvoir, nous, la caste des initiés investis des tâches élevées. L’enfant, tout le monde peut le dénuder, le mettre au pilori.
Tricheurs professionnels, nous jouons contre les enfants avec des cartes truquées en abattant sous les as de nos qualités les petites cartes de leurs faiblesses. Nous nous arrangeons toujours de manière à opposer ce qui est le plus précieux en nous à ce qui est le pire en eux.
Où sont donc nos insouciants et nos étourdis, nos goinfres et nos paresseux, nos imbéciles, nos bambocheurs, nos aventuriers, nos tricheurs, nos ivrognes et nos voleurs ? Et notre brutalité, nos crimes notoires ou cachés ? Que de discordes, de ruses, de jalousies, de médisances, de chantages ; que de mots qui blessent, d’actes qui déshonorent ; que de sordides tragédies familiales dont les premiers martyrs sont les enfants !
Et nous avons l’audace de les accuser ? […]
Au lieu de leur permettre de juger par eux-mêmes, nous leur imposons un respect aveugle pour l’âge et l’expérience. Nous encourageons ainsi un tas de jeunes impertinents, leurs aînés, à les entraîner, souvent par force, à partager leurs expériences douteuses.
Vicieux, déséquilibrés, ceux-là vont où bon leur semble, bousculent tout et tout le monde, distribuent des coups, font mal et contaminent les autres. Ils nous en font voir aussi au passage, c’est à cause d’eux que les enfants sont collectivement coupables. Ces quelques cas isolés alarment l’opinion en marquant de taches voyantes la surface de la vie enfantine et dictent à la routine pédagogique ses méthodes habituelles : mesures expéditives (bien qu’elles accablent plus qu’autre chose), rudesse (bien qu’elle soit blessante), sévérité (c’est-à-dire brutalité).
Nous ne donnons pas aux enfants, les moyens de s’organiser, Irrespectueux, défiants, mal disposés à leur égard, c’est bien mal que nous en prenons soin. Pour savoir comment nous y prendre, il nous faudrait s’adresser à des experts et les experts ici – ce sont les enfants. »
Janusz Korczak, Le droit de l’enfant au respect, 1929, trad. française 1979, Robert Laffont.
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