mardi 3 décembre 2024

Quelle légitimité pour le « choc des savoirs » ?

 

L’acte II du « choc des savoirs » (sic) lancé par Genetet reprend in extenso le programme annoncé il y a un an par Attal. Un an plus tard et un scrutin législatif perdu, la ministre en titre reprend à son compte sans scrupules et comme si de rien n’était tous les éléments d’une brutale révolution conservatrice que la simple logique démocratique devait enterrer.

Groupes de niveau, mise à mort du collège unique et du principe des cycles, examen d’entrée au lycée, manuels obligatoires en primaire, nouveaux programmes (on en devine l’orientation) en collège : l’acte II du « choc des savoirs » (sic) lancé par Genetet reprend in extenso le programme annoncé il y a un an par Attal, un programme qui, déjà, n’avait fait l’objet d’aucune concertation, sorti tout armé du secret de son cabinet. Un an plus tard et un scrutin législatif perdu, la ministre en titre reprend à son compte sans scrupules et comme si de rien n’était tous les éléments d’une brutale révolution conservatrice que la simple logique démocratique devait enterrer. Une révolution conservatrice étayée par trois piliers : sélection précoce des élèves, cursus organisés autour de savoirs étriqués et pétrifiés (et mal nommés « savoirs fondamentaux ») et mise sous tutelle de la pédagogie et des enseignant.es, tout spécialement par la multiplication extravagante d’évaluations toute formelles mais qui impactent nécessairement en amont la pédagogie. De fait, dans un système centralisé et autoritaire comme l’est l’Éducation nationale, c’est tout autant voire davantage l’évaluation des profs - réduits au rôle de simple exécutants - qui est visée que celle des élèves, infantilisant les premiers sans faire grandir les autres.

Se pose alors une nouvelle fois, et aujourd’hui de façon toujours plus pressante, la question de la légitimité de décisions annoncées dans de telles conditions : sur la forme, la ministre faisant presque pitié à lire péniblement les fiches préparées par ses services, comme sur le fond : une réforme lourde du système éducatif, ce qu’Antoine Prost appelle une réforme « organique » qui touche à « l’architecture, à l’organisation d’ensemble » (1) peut-elle être mise en œuvre par un gouvernement ultra-minoritaire et sans avoir fait l’objet d’un débat public, d’une concertation qui, précisément, fondent la démocratie ? Sur quelles études, quels travaux la ministre s’appuie-t-elle pour prendre des décisions qui, si elles sont appliquées, engageront l’école pour de longues années tout en la faisant retomber très loin en arrière ? Pour prétendre que la multiplication des évaluations infantilisantes permet de connaître les points forts et les points faibles des élèves ? Que l’enfermement d’une partie des élèves dans le rabâchage ou dans un bachotage précoce serait le gage d’une « élévation du niveau », niveau du reste jamais défini ? Que l’application de prescriptions stéréotypées sorties d’un improbable cabinet de l’ombre permettrait de tenir compte de la diversité des élèves et plus simplement de la réalité de l’école ?

Avec des annonces aussi peu fondées, aussi potentiellement désastreuses, le principe de service public d’éducation est à nouveau mis à mal par une communication gouvernementale peu soucieuse de l'intérêt général mais qui bénéficie d'un empressement médiatique jamais démenti. Dans une démarche populiste dont l’école fait trop souvent les frais, il s’agit de complaire à un électorat peu au fait du sujet mais sensible à la tonalité traditionaliste de la ministre. Mais les obligations du service public d’éducation et celles de la fonction publique impliquent-elles une obéissance absolue des personnels à des décisions non pas politiques mais partisanes, prises unilatéralement et dont les effets vont à l’encontre d’une certaine idée de justice qui, précisément, donne son sens au service public ? Cette question est malheureusement trop peu posée dans un petit monde de l’éducation encore massivement formaté autour du principe de l’obéissance, celle des élèves, celle des personnels, obéissance à une autorité, à un pouvoir jamais remis en cause, incarnée par des petits chefs ou par une république sacralisée. Les traditionnels couplets syndicaux autour des « moyens » insuffisants ou les appels à la grève ne changent rien à la chose, confortant ladite autorité dans l’idée que le risque d’une opposition frontale et durable avec les personnels non seulement n’est pas bien grand mais que, comme le suggère de façon particulièrement perverse la ministre, les enseignants pourraient se trouver flattés de se voir « redonner le dernier mot »… sur les élèves, dénaturant la relation pédagogique en rapport d’autorité et de pouvoir. Un rapport qui s'incarne tout spécialement autour des redoublements et des orientations, objets des crispations d'une partie des personnels qui se retrouveront sans difficulté derrière la ministre, même s'ils ne l'avouent pas.

Inventé par un ministre pour qui « à l'école, on ne discute pas l'autorité », le « choc des savoirs », c’est aussi et d'abord un choc d’autorité. Reste à savoir jusqu’où les profs accepteront de s’engager dans cette voie.

 

(1) Antoine PROST, Du changement dans l’école, Les réformes de l’éducation de 1936 à nos jours, Le Seuil, 2013.

 

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