samedi 24 février 2024

Attal : « on ne négocie pas avec la république »… sauf exceptions.

 

« Des sanctions fortes à la moindre entorse à notre pacte républicain… »… à l’école. On « ne négocie pas avec la République : on l’accepte, on la respecte en entier, sans la moindre exception » … à l’école. Devant les députés (30/01/2024) et devant les micros, Attal est intarissable sur le respect des règles, sur les punitions… à l’école. Car, pour le reste, c’est une autre histoire. Ce principe* prend une résonance toute particulière dans le contexte de violences débridées et décomplexées entretenu ces dernières semaines par quelques organisations agricoles. Avec ce curieux sentiment qui laisse comme un malaise : l’appel au respect de la loi, à la primauté du droit, les leçons de morale et de civisme, tout cela ne vaut que pour les élèves.

Depuis longtemps déjà, mais singulièrement depuis les attentats de 2015, l’école est avec acharnement la cible d’une accusation venant d’un peu partout, des médias comme des politiques, visant à lui faire porter la responsabilité d’une sorte de délitement moral collectif dont l’aspect le plus voyant résiderait dans l’oubli des sacro-saintes « valeurs de la république ». Répondant en quelque sorte à l’accusation brutale du Premier ministre de l’époque qui, dès le lendemain des attentats, faisait de l’école, « qui a laissé passer trop de choses », la première marche vers le terrorisme, les responsables politiques, suivis par une large partie de l'opinion, ont privilégié en guise d’objectif éducatif, avec les sempiternelles leçons de morale, un civisme de façade qui fait du respect des lois la base de toute vie en société. Mais de la société juvénile exclusivement, car pour les autres, la république n’a manifestement pas les mêmes exigences.

Pour un visiteur étranger ou un Persan qui débarquerait aujourd’hui d’une lointaine contrée, la France donne effectivement de ses institutions politiques, dont elle est pourtant si fière, une singulière image. Depuis un mois, une vague de violence sans retenue s’abat sur des régions entières : voies de communication paralysées, déchargement de tonnes de déchets dans l’espace public, incendies volontaires, pillage de magasins, agressions de routiers étrangers, un vandalisme à 8 millions d’euros (chiffre provisoire) se déchaîne un peu partout … sous le regard bienveillant des forces de l’ordre, des pouvoirs publics, et les encouragements bruyants de la quasi-totalité de la classe politique au côté de « nos agriculteurs », des agriculteurs ou de leurs représentants qui donnent de la république l’image d’un régime politique d’une invraisemblable complaisance pour un groupe de pression ultra-violent qui fait de la menace et de l’intimidation son moyen d’expression privilégié.

Nos élèves, bien disciplinés en comparaison, ne manqueront sans doute pas de s’interroger sur cette étonnante indulgence concédée à une petite partie du corps électoral, une dérive clientéliste qui fait faire à la république le grand écart entre ses principes affichés et son action : respect des règles, de la loi, du bien commun, interdiction de la violence. Une obligation uniquement valable pour les jeunes ? Leur interrogation sera d’autant plus légitime que certains d’entre eux, constamment stigmatisés pour leur appartenance supposée à des quartiers dits « sensibles », des zones de « non-droit », à une religion objet de tous les soupçons, ont à juste titre le sentiment que la loi n’est décidément pas la même pour tout le monde. Les « territoires perdus de la république », élucubration favorite de tant de politiciens et chroniqueurs de tout poil, n’est-ce pas plutôt quelque part dans le bocage qu’on pourrait les chercher ?

En réalité, la lourde insistance mise sur l’éducation dite morale et civique – une discipline dont on ne trouve l’équivalent nulle part chez nos voisins – devrait interroger les éducateurs : dans un pays où la fraude à la loi a des allures de sport national, où une large partie de l’opinion persiste à accorder sa confiance à des responsables politiques condamnés par la justice, où la violence sociale et politique tend à devenir la norme, on comprend alors que les leçons de morale à destination des jeunes, structurées autour de la sacralisation d’un régime politique intouchable, ont principalement pour fonction de dédouaner le monde des adultes et leurs représentants de leurs propres responsabilités, négligeant le fait, comme le disait C. G. Jung (L’âme et la vie), que « les enfants sont éduqués par ce que l’adulte est et non par ses bavardages. »

 

Cette note de blog doit sans doute beaucoup à Janusz Korczak. Près d’un siècle après la parution du Droit de l’enfant au respect, les injonctions morales et civiques relayées sans discernement par l’Éducation nationale, toujours plus brutales, sonnent toujours aussi faux.   


« Nous dissimulons nos défauts et nos plus viles actions. Sous peine de grave offense, les enfants ne peuvent ni nous critiquer ni même s’apercevoir de nos faiblesses, de nos travers, de nos ridicules. Nous posons aux êtres parfaits et défendons nos secrets, nous le clan au pouvoir, nous la caste des initiés investis des tâches élevées. L’enfant, tout le monde peut le dénuder impunément, le mettre au pilori.

Tricheurs professionnels, nous jouons contre les enfants avec des cartes truquées en abattant sous les as de nos qualités les petites cartes de leurs faiblesses. Nous nous arrangeons toujours de manière à opposer ce qui est le plus précieux en nous à ce qui est le pire en eux.

Où donc sont nos insouciants et nos étourdis, nos goinfres et nos paresseux, nos imbéciles, nos bambocheurs, nos aventuriers, nos tricheurs, nos ivrognes et nos voleurs ? Et notre brutalité, nos crimes notoires ou cachés ? Que de discordes, de ruses, de jalousies, de médisances, de chantages ; que de mots qui blessent, d’actes qui déshonorent ; que de sordides tragédies familiales dont les premiers martyrs sont les enfants !

Et nous avons l’audace de les accuser ?

Notre respectable société adulte est pourtant passée au travers de plus d’un crible : combien ont disparu dans les cimetières, les prisons, les maisons de fous ; combien sont allés rejoindre les eaux sales de la criminalité !

Au lieu de leur permettre de juger par eux-mêmes, nous leur imposons un respect aveugle pour l’âge et l’expérience. Nous encourageons ainsi un tas de jeunes impertinents, leurs aînés, à les entraîner, souvent par force, à partager leurs expériences douteuses.

Vicieux, déséquilibrés, ceux-là vont où bon leur semble, bousculent tout et tout le monde, distribuent des coups, font mal et contaminent les autres. Ils nous en font voir aussi au passage, c’est à cause d’eux que les enfants sont collectivement coupables. Ces quelques cas isolés alarment l’opinion en marquant de taches voyantes la surface de la vie enfantine et dictent à la routine pédagogique ses méthodes habituelles : mesures expéditives (bien qu’elles accablent plus qu’autre chose), rudesse (bien qu’elle soit blessante), sévérité (c’est-à-dire brutalité).

Nous ne donnons pas aux enfants les moyens de s’organiser. Irrespectueux, défiants, mal disposés à leur égard, c’est bien mal que nous en prenons soin. Pour savoir comment nous y prendre, il nous faudrait s’adresser à des experts, et les experts ici – ce sont les enfants ».

 

Janusz KORCZAK, Le droit de l’enfant au respect, 1929.

 

 *… principe aux relents totalitaires car comment qualifier autrement un régime politique qui exige des élèves (et de la société civile) une soumission quasi religieuse au point de considérer toute forme de critique comme un blasphème, comme un délit ? 

 

Sur le même sujet : Valeurs de la république à l'école : l'EMC, une escroquerie morale et civique

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