lundi 15 janvier 2024

Régénération, réarmement civique, autorité : Macron 2024 dans les pas de Hollande 2015.

 

Régénération, réarmement civique, autorité : une rhétorique martiale et guerrière, fortement sous-tendue de considérations identitaires, s’incruste autour de l’École, illustrée par des symboles criards comme l’uniforme et le SNU. « Le réarmement civique – écrit Thierry Ribault, chercheur en sciences sociales – est un sous-produit idéologique de la doctrine de la résilience nationale élaborée par les dirigeants macronistes. C’est une phase préparatoire à un réarmement militaire et à une mobilisation nationale de la jeunesse. » Élaborée par des dirigeants macronistes ? Sans doute mais pas seulement : à bien des égards, le moment actuel apparaît comme l’aboutissement d’une impulsion donnée par la majorité précédente (2012-2017) – dite de gauche – dans la foulée des attentats de 2015. Depuis l’absurde accusation lancée par Valls (janvier 2015) selon laquelle « à l’école, on a laissé passer trop de choses », cette dernière est la cible d’injonctions brutales qui gangrènent la mission civique de l’école dans une perspective dévoyée faisant de l’identité nationale la forme ultime et nécessaire du vivre ensemble.

C’est bien la gauche qui a fait rentrer la symbolique identitaire dans les locaux scolaires ; la gauche qui, en 2015 a décrété autour d’hypothétiques « valeurs de la république » une « mobilisation » dont on n’a pas tardé à voir qu’elle visait les jeunes de confession musulmane ; c’est bien la gauche qui, par la bouche de V. Peillon (01/09/2012), dénaturant la laïcité en religion officielle, en appelait – douze ans avant Macron – à un « redressement intellectuel et moral », à un « réarmement moral » :  

« La morale laïque, c’est (…) distinguer le bien du mal. (…) Il faut assumer que l’école exerce un pouvoir spirituel dans la société (…). Le redressement de la France doit être intellectuel et moral (…). Nous avons besoin d’un réarmement moral. » 

C’est bien le gauche (le PS, plus précisément) qui, dès janvier 2015, prônait le rétablissement d’un service national obligatoire de 6 à 12 mois (idée d’ailleurs reprise dans le programme NUPES de 2022…) : « Il y a nécessité de renouer un lien fort entre la jeunesse et la Nation, car nous voyons bien qu’il y a un délitement des valeurs civiques »

Faut-il rappeler également que c’est toujours la gauche qui, dès 1982, faisait rentrer l’éducation à la défense dans les programmes scolaires ?

Bref, en 2024, Macron ne fait que creuser un sillon largement ouvert avant lui. En faisant le choix pour l’école d’une logique coercitive, il s’inscrit dans une dialectique de panique morale et de remise en ordre de l’école largement initiée depuis 2015, notamment par un discours qu’on peut, avec le recul des années, considérer comme (tristement) fondateur, tenu par Hollande le 21 janvier 2015, des paroles dont bien peu avaient alors soupçonné la portée :

 « (…)  chaque fois que sera prononcé (...) un mot qui met en cause une valeur fondamentale de l'école et de la République, il y aura une réaction (…) tout comportement mettant en cause les valeurs de la République ou l'autorité du maître ou du professeur fera l'objet d'un signalement au chef d'établissement. Aucun incident ne sera laissé sans suite. (…) C'est en faisant en sorte que l'autorité soit respectée, celle du maître, que nous pourrons aussi veiller à ce que les valeurs de la République soient partagées et renforcées. »

En outre, en reprenant à son compte la mission prioritaire de « transmission des valeurs et des savoirs », Hollande légitimait par avance la vision brutale et réductrice de l’École mise en œuvre sous les mandats de son successeur.

 

Sur cet épisode, je fais remonter ci-dessous la note de blog que j’avais rédigée le 23/01/2015. Les vœux 2015 de Hollande au monde de l'éducation, Macron peut reprendre les mêmes en 2024...

 

Comme d’habitude, le décorum et la solennité assommante des vœux du président de la république au monde de l’éducation ont joué leur rôle d’écran de fumée : ce n’est pas aux enseignants ni aux éducateurs qu’ils s’adressent mais à l’opinion publique et aux médias. Mais cette fois-ci, le message délivré, en dépit de la minceur des mesures concrètes, marque une inflexion notable du discours officiel – à défaut de la politique réelle – sur l’école et sa place dans la société. Conséquence inattendue des attentats terroristes : dans le débat éducatif, le président de la république et sa majorité choisissent l’option réactionnaire, la réaction étant ici comprise dans le sens d’un retour en arrière. Surtout, derrière l’appel aux grands principes, un objectif bien moins noble crève l’écran : toute la communauté éducative est sommée de se rassembler derrière son président.

Le catalogue d’annonces relève d’un savant dosage de symbolique, de futile et de répressif. Symbolique, avec l’annonce d’une journée – une demi-journée d’ailleurs, le 9 décembre tombant cette année un mercredi -  où la laïcité sera « célébrée ». Futile, avec la présentation comme nouveauté de ce qui se fait de longue date : la morale laïque en lieu et place de l’éducation civique, sans doute jugée pas suffisamment laïque ; l’enseignement des religions dont on persiste à faire semblant d’ignorer qu’il fait partie des programmes scolaires depuis plusieurs décennies ; de même que l’éducation aux médias ; et, pour faire bonne mesure, le règlement intérieur de l’établissement sera obligatoirement signé par l’élève et ses parents… comme c’est déjà le cas partout. Evidemment, pour coller à l’air du temps et continuer à progresser dans les sondages, le président ne pouvait éluder la question de l’ « autorité » de l’école, qui sera garantie par une formule ambigüe : « [chaque fois que sera prononcé] un mot qui met en cause une valeur fondamentale de l'école et de la République, il y aura une réaction. » Si, après tout cela, nos élèves versent dans le terrorisme, c’est à désespérer de l’école, de la république et des ses valeurs…

Mais derrière ces résolutions plus ou moins anecdotiques à destination des micros et des caméras, cette cérémonie des vœux a surtout été l’occasion pour Hollande de délivrer un message (subliminal ?) sur la fonction qu’il attribue à l’école : partant d’une citation hors contexte et donc dénaturée de Jean Zay (« Les écoles doivent rester l'asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas »), le président de la république laisse tomber, l’air de ne pas y toucher  : « la mission de l'École est de transmettre les valeurs, les savoirs. » Il faut dire que le terrain lui avait été préparé la veille par une déclaration du Parti socialiste affirmant qu’iI fallait « rendre à l’école sa mission première, la transmission des savoirs et des valeurs de la République … [par exemple] en recentrant les enseignements sur les matières qui créent un sentiment d’appartenance à la République et à la communauté nationale. » Transmettre des savoirs, mission première de l’école ? Une formule qui fait sens et qui vient de loin, puisqu’il s’agit de l’incantation martelée depuis près d’un demi-siècle par toute une mouvance bruyante qui travaille inlassablement par médias interposés à une « restauration intellectuelle » (Serge Audier, « La pensée anti-68 ») destinée à ramener l’école et la société à ce qu’elles étaient avant 1968. Détestation de la pédagogie, vision simpliste et étriquée des « savoirs » qu’il suffit de « transmettre » pour que les élèves magiquement les acquièrent, élèves désincarnés, protégés du monde par une école sanctuarisée, autorité confondue avec obéissance, nostalgie d’une époque qui savait sélectionner ses élites etc : cette idéologie politique rudimentaire qui s’exprime par la voix des Brighelli, Gauchet, Polony, Finkielkraut et de beaucoup d’autres se trouve aujourd’hui récupérée par la gauche à la faveur d’une circonstance extérieure – des attentats terroristes – habilement et malhonnêtement exploitée.

Au fil des jours, l’implication de l’école à son corps défendant dans un événement dont on veut à toutes forces la rendre coupable ne peut plus cacher d’où elle vient. Qu’y avait-il d’obscène hier dans le discours du président de la république devant un parterre de hauts fonctionnaires dociles ? Tout simplement, la volonté obstinée du pouvoir politique de se décharger de ses propres erreurs pour en faire porter la responsabilité à l’ensemble des jeunes et au système éducatif : silence obligé sur les failles du système de renseignement, sur des interventions militaires ruineuses et aventureuses, sur une politique moyen-orientale qui depuis toujours fait passer l’approvisionnement en pétrole avant les droits de l’homme. Avec la complicité des médias, la totalité de la classe politique de l’extrême-gauche à l’extrême-droite (cf. Mélenchon main dans la main avec Le Pen pour réclamer le rétablissement du service militaire) verrouille le débat et le détourne sur l’école qui fait ici figure de victime expiatoire, venant ainsi confirmer cette vérité éducative : quand les adultes perdent la raison, ce sont les enfants qui trinquent

Depuis deux semaines, toute la hiérarchie de l’Education nationale se trouve ainsi mobilisée autour d’un mot d’ordre : il faut sauver le soldat Hollande. Tous les moyens sont bons, en personnels comme en matériel pour faire taire les critiques et s’assurer la coopération forcée d’une institution soumise, enseignants comme élèves - les uns comme les autres infantilisés - à une injonction politique d’une rare brutalité. A quel impératif les mesures présentées aujourd’hui par la ministre de l’Education nationale répondent-elles ? S’agit-il d’aider les élèves à apprendre, de les faire grandir dans le respect de l’autre, de travailler à l’émergence d’une société responsable ? En réalité, l’effarant catalogue présenté aujourd’hui est un recueil surréaliste de formules toutes faites, un fatras de résolutions qui partent dans toutes les directions, avec en toile de fond, cette confusion grossièrement entretenue entre laïcité, république, patriotisme, obéissance.

Si l’école a quelque chose à voir avec les attentats de ces dernières semaines, c’est d’abord par ce qu’elle nous apprend sur la société qui l’engendre et dont elle révèle les dysfonctionnements. Ce qui est en jeu maintenant, c’est son instrumentalisation, le détournement de sa mission légitime au profit d’intérêts qui le sont beaucoup moins.

 

 

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