mardi 18 octobre 2022

" Histoire d'une nation" : l'école fait son cinéma... et triste figure

"Histoire d'une nation : l'école".Un titre qui fleure la blouse grise et les coups de règle sur les doigts. Un documentaire qui multiplie les contre-vérités, les poncifs, les anachronismes pour donner l’image fantasmée d’une époque qui ne l’est pas moins.

« Jusqu’en 1833, à 4 ans, les enfants des campagnes étaient aux champs et à 8 à la mine. » Pour commencer, on ne pouvait faire pire que cette formule caricaturale qui ignore tout des progrès de l’instruction et de l’alphabétisation aux 17e et 18e siècles (pourtant documentée depuis des décennies par tous les historiens de l’éducation), notamment sous l’action de ce qu’on appelait les « petites écoles » qui scolarisaient gratuitement tous les enfants. Ecoles certes rudimentaires mais grâce auxquelles, en 1789, à peu près un homme sur deux savait signer son nom. Au début de la 3e république, pratiquement tous les garçons (pourcentage un peu moins élevé pour les filles) étaient déjà peu ou prou scolarisés ; la législation Ferry intervient donc dans la phase terminale d’un mouvement séculaire, qu’ont d’ailleurs connu au même moment tous les pays de l’Europe de l’Ouest, monarchies comprises… Pas de quoi en faire un culte, donc.

Un culte d’autant moins justifié que l’école dite « de la république » était institutionnellement une école de classe, distinguant strictement deux ordres scolaires, le primaire et le secondaire avec deux fonctions différentes :  alors que les études secondaires (d’ailleurs payantes jusque dans les années 1930) étaient réservées aux milieux aisés, tous les autres ne fréquentaient que l’école primaire avant de rentrer dans la vie active à 13 ans (14 ans en 1936). L’école de la 3e république avait donc principalement un rôle de reproduction sociale – faire accepter l’ordre social et politique du moment – ce qui, vu sous cet angle, ne la différencie fondamentalement pas des institutions scolaires des siècles précédents.

L’autre objectif de l’école républicaine est étroitement lié à l’exaltation d’un sentiment national à laquelle elle a lié le sort de millions d’enfants… jusqu’au pire, comme le suggérait Ferdinand Buisson, dans le Manuel général de l’Instruction primaire (1905) : « L’école primaire enseignera, inspirera l’obligation absolue pour le jeune Français d’accepter les sacrifices de lui commandera son pays, fût-ce celui de sa vie … ». L’école de la 3e république, c’est aussi celle qui conduira à la mort, dans les tranchées de 14-18, plus d’1, 3 million de ses anciens élèves, victimes d’un bourrage de crâne mis en œuvre par un enseignement de l’histoire à visée guerrière et nationaliste mais aussi par la soumission exigée des élèves à une discipline brutale et abrutissante.

Avec la distance du temps, on est quand même surpris de voir les auteurs de ce documentaire reprendre sans aucune distanciation les principes pourtant éculés de l’éducation patriotique : « L’école – écrivent-ils dans le texte de présentation -  est le premier lieu où nous sentons que nous faisons partie d’une histoire commune, celle d’une nation. ». Mais qui est ce « nous », qu’est-ce que cette « histoire commune », qu’est-ce que cette collectivité qui ne se reconnaîtrait qu’à travers une nation que personne n’a jamais été capable de définir autrement que par des pointillés sur une carte et un culte obligatoire ? Est-il sérieusement possible aujourd’hui de mettre en scène une « histoire de la nation » qui ne tienne pas compte d’une historiographie qui a contribué à une sévère remise en cause de l’imaginaire national ?  Parmi d’autres : B. Anderson, A.-M. Thiesse, E. Hobsawm, Suzanne Citron, bien sûr, qui, en 1987 déconstruisait ce « mythe national », construit au fil des âges par les régimes d’abord monarchiques puis républicains pour asseoir leur pouvoir. 

Un mythe dont les auteurs de ce documentaire caricatural n’ont pas su ou voulu se détacher.

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