« Qu’est-ce qu’être français ? » Même dans la troisième décennie du 21e siècle, cette question qu’on croyait d’un autre âge n’en finit pas d’occuper le devant d’une scène politique qui n’a rien de plus conséquent à proposer à l’électeur. Mélenchon, à qui la devinette a été posée (25/11/2021, BFMTV), ne s’est pas vraiment différencié d’une droite – extrême ou non – que le sujet rend folle.
Pour le leader de la France dite insoumise, l’identité nationale ne saurait évidemment se réduire à la couleur de peau (même Zemmour n’oserait pas le dire), à la religion ou à la langue. Et c’est après avoir enfoncé ces portes ouvertes que les difficultés surgissent avec une définition tranchante et sans appel de la nationalité : « être français - claironne Mélenchon - c’est être républicain, c’est-à-dire liberté, égalité, fraternité ». Pas moins. Une affirmation péremptoire qui renvoie aux oubliettes tous ceux qui ont eu le malheur de vivre avant 1792 sur le territoire actuel de la France. Ils ont pourtant bien existé :depuis les occupants de Terra Amata (il y a près de 400 000 ans) qui connaissaient l’usage du feu, en passant par les Néandertaliens de la Chapelle-aux-Saints qui enterraient leurs morts, les « brillantes civilisations » (J. Guilaine) de Lascaux ou de Pech Merle… jusqu’au 18e siècle, cela en fait du monde à avoir vécu sur une terre progressivement mise en valeur par ses habitants, avec - soit dit en passant - un peu plus de respect et de prudence que leurs lointains descendants d’après 1792. S’ils n’étaient pas républicains, ce n’est pas une raison suffisante pour les ignorer. A moins qu’il ne s’agisse de mauvaises raisons. Comme celle qui suit.
Dans la veine incantatoire qui est sa marque de fabrique, Mélenchon poursuit : « la plus grande chose qui nous soit arrivée dans l’histoire, c’est d’avoir fait une révolution sur la base de principes qui s’appliquent à l’humanité universelle » (sic). Après avoir ignoré toute l’histoire des hommes d’avant 1792, Mélenchon transforme à sa façon l’histoire d’après 1792. En faisant de quelques grands principes – liberté, égalité, fraternité – des valeurs spécifiquement françaises, non seulement il déforme une réalité historique autrement plus complexe mais il l’instrumentalise pour lui donner la signification typique des rhétoriques identitaires : celle d’un peuple homogène, unique par ses vertus (l’expression peuple élu est déjà prise), modèle pour le genre humain tout entier. Dans cette optique, on ne s’interrogera pas sur la nature d’un régime qui, en 1793-1794, à Nantes, faisait noyer ses prétendus adversaires (hommes, femmes, enfants !) dans la Loire et qui aujourd’hui accepte que les migrants se noient à ses portes, comme, en octobre 1961, il noyait les Arabes dans la Seine. En dépit de l’image que la république entretient sur elle-même avec une complaisance jamais démentie, au regard de ses voisins, elle peut difficilement passer pour un modèle de démocratie politique, de justice sociale ou de respect des droits humains. Sacralisée en dépit de son histoire, universalisée par ignorance de l’histoire du monde, la république unanimement célébrée est le vecteur privilégié de l’orgueil national.
Vue sous cet angle, l’origine républicaine de la France telle que la vante Mélenchon ne diffère pas fondamentalement du baptême de Clovis, choisi comme référence dans d’autres familles politiques, pas des plus recommandables. Dans tous les cas, la fixation irrationnelle sur une origine fantasmée, déconnectée de la réalité historique, participe d’une « mythologie de l’identité » (Marcel Detienne) aux conséquences délétères. Prétendre instituer la société sur une identité collective, nationale, aussi peu fondée, conduit fatalement à dresser des barrières entre les individus, entre ceux qui sont reconnus comme faisant partie de la collectivité et ceux qui en sont exclus.
Qu’est-ce qu’être français ? Plutôt que de se perdre dans un questionnement aberrant, le débat politique gagnerait du sens en posant la question : faut-il vraiment se sentir français pour faire société ?
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