12 millions d’élèves au garde-à-vous, immobiles, la tête baissée, 12 millions d’élèves en silence pendant une minute sous étroite surveillance : mise en scène improbable d'une émotion factice, de commande, mais qui fait sens pour un pouvoir politique auquel l’École n'a rien à refuser.
Imagine-t-on l’Éducation nationale organisant un « hommage solennel » en souvenir de Christine Renon ? Ou encore de cette professeure des écoles du Cantal harcelée pour son homosexualité ? Ou pourquoi pas, pour Evaëlle, 11 ans, humiliée, stigmatisée par une de ses enseignantes ? Trois morts, trois suicides, impliquant d’une certaine façon la responsabilité de l’Éducation nationale, même si le premier fut simplement « présumé imputable au service » pour reprendre la formule toute en délicatesse du Dgesco de l’époque aujourd’hui promu ministre. Pourquoi pas, non plus, une minute de silence en mémoire des enfants de Gaza tués dans le bombardement de leur école ?
Pourquoi alors 800 000 enseignants et 12 millions d’élèves seraient-ils tenus de respecter une minute de silence pour honorer la mémoire de deux enseignants, certes dignes de respect mais qu’ils n’ont jamais connus et dont la mort ne peut en aucun cas engager leur responsabilité ? Sauf à prouver une culpabilité collective…
Dans ces conditions, quelle légitimité pour un hommage solennel imposé le 14 octobre à 800 000 enseignants et à 12 millions d’élèves en souvenir de la mort de Samuel Paty et de Dominique Bernard ? Manifester son émotion fait-elle partie des obligations de la fonction publique et des règlements scolaires ? Ou bien s’agit-il, pour l’organisateur, de mettre en scène une forme d’expiation collective visant plus spécialement une partie des élèves et leur famille ? Ceux qui, avec une constance toujours renouvelée ces dernières années, font l’objet de toutes les surveillances et de tellement d’anathèmes, portant le poids d’un crime qu’ils n’ont pas commis. L’hommage solennel à Samuel Paty et à Dominique Bernard n’est pas un hommage, une émotion obligatoire n’est pas une émotion mais bien plutôt la représentation, l’exhibition malsaine d’une méfiance officielle et politique fortement médiatisée, dirigée contre une partie de la population qu’on persiste à voir comme un corps étranger, comme une menace pour une cohésion qu’on s’avère incapable d’imaginer autrement que nationale. Le 14 octobre, ce n’est pas la figure ni la mémoire de deux enseignants qu’on met en avant mais l’image de leurs assassins et d’une menace diffuse contre laquelle un rituel de contrainte imposé à toute une jeunesse serait censé prémunir.
On n'éduque pas en attisant les peurs.
L’Éducation nationale ayant repris in extenso pour son spectacle 2025 sa circulaire de l’année précédente, je remonte ci-dessous ma note de blog d’il y a un an.
[...] En réalité, plus qu’une réflexion sur la tolérance et l’intolérance, plus qu’une occasion de s’exercer à l’esprit critique, cet « hommage solennel » du 14 octobre, à rebours de toute perspective émancipatrice, est surtout un moment de surveillance étroite et de contrôle renforcé du monde scolaire, objet de toutes les suspicions. Car on sait très bien de qui il s’agit et de quoi il retourne : si S. Paty fait aujourd’hui figure d’icône officielle à l’Éducation nationale (à l’extrême-droite également…), ce n’est pas comme symbole de tolérance et d’esprit critique mais bien plutôt pour son choix des caricatures de Mahomet présentées à un public contraint par son statut d’élèves de les accepter. Avec une initiative qui résulte exclusivement du pouvoir politique et de toutes les arrière-pensées qui vont avec, l’hommage à S. Paty et à D. Bernard s’inscrit dans la rhétorique de peur, de panique entretenue autour de l’école et d’une partie de ses élèves [...]
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